De sa naissance et des quelques années qui ont suivi, Eli n'a aucun souvenir. Et si d'aucun diront que c'est quelque chose de tout à fait normal, Eli a toujours préféré se dire qu'il a oublié inconsciemment pour s'éviter d'inutiles souffrances et questions existentielles. Tout ce dont il se rappelle, quoi qu'encore vaguement, c'est de l'année marquante de ses 3 ans. L'année durant laquelle il fut adopté par une famille d'humains et baptisé "Eli". En tant que tout petit et tout mignon tigreau, il attira vite les regards tendres, les petites attentions et les doux baisers de ses possesseurs, bien qu'il fut d'après eux "un peu enrobé pour un bébé chat". Il grandit donc sous leur tutelle, apprenant leur langages, leurs coutumes, et bien vite, à remettre en question ce qui l'entourait. Ce pourquoi, quand le fils de la famille grandit lui aussi, et qu'ils atteignirent le même âge, Eli se demanda pourquoi ils ne partageaient pas les même tâches. Lui aussi aurait aimé sortir, et apprendre à l'école, mais ne lui étaient réservées que les tâches ménagères, le bricolage (probablement son activité favorite), et parfois même porter le fils à l'école, en tirant une sorte de charrette aménagée sur plusieurs kilomètres. C'est grâce à tout cela qu'il se développa physiquement. Quand à son développement psychologique, il finit par le faire lui même en s'instruisant du contenu de tous les livres qu'il pouvait bien trouver dans la grande bibliothèque de ses maîtres. Mais cette vie lui semblait bien injuste, et il finit par fuguer.

Il n'avait que 15 ans à ce moment décisif de sa vie, et affronta durant des semaines le mépris, voir la peur des gens, il se fit chasser et traquer plusieurs fois par la "fourrière", mais finit par trouver refuge dans une petite maison proche du centre ville, inhabitée depuis une sordide histoire soldée par le meurtre de sang froid de deux de ses habitants et l'emprisonnement à vie pour le dernier. Mais un soir, alors qu'il faisait des exercices de musculation tout en lisant un livre à l'eau de rose fraîchement dérobé dans le voisinage, piètrement éclairé par une lampe de poche , il fut dérangé par un bruit sourd à l'entrée de la maison. La porte venait d'être enfoncée, et quelqu'un se rapprochait à bonne vitesse. Eli n'eut que le temps d'éteindre sa lampe et de se cacher dans un renfoncement d'une des cloisons du salon, ayant probablement accueilli jadis un placard, puis assista à une scène qui le terrifia, sans manquer pour autant de le faire enrager au plus haut point. Un homme vint en effet déposer un panier à même le sol, jetant quelques regards suspicieux autour de lui, puis avant de partir, lâcha au contenu de son panier:

"Navré, mais tu n'es pas à son goût, et puisque la fourrirère ne fait pas de reprise, elle n'a qu'à venir te reprendre... Où te jeter."

Quand il fut parti, le panier se mit à fondre en larmes, révélant la plus grande crainte d'Eli: l'homme venait bien d'abandonner un bébé. Eli s'était donc rapproché, et l'avait observé de haut, curieux mais mal à l'aise. Et quelque chose, dans les yeux du bébé, dans ses attributs animaux ou dans le fait qu'il arrêta aussitôt de pleurer en contemplant l'impressionnante carrure de l'hybride devant lui, frappa soudain Eli. Lui et le bébé ne se quittèrent pas des yeux durant de longues secondes, et ce fut assez pour que le jeune tigre décide qu'ils ne se quitteraient plus jamais. Il nomma le bébé Anna, comme l'héroïne de son livre...
Ainsi, et pendant des années, Eli prit soin du bébé comme si il était le sien, le nourrissant et l'instruisant à son rythme, veillant à ce qu'il ne manque jamais de rien. Mais c'est ainsi que le jour de ses 22 ans, qui était aussi celui des 7 ans de l'enfant, en rapportant un petit gâteau volé dans une pâtisserie deux rues plus loin, un drame se produisit. Il vérifia comme chaque jours avant de rentrer chez lui s'il n'avait pas été suivi, puis après quelques secondes, ouvrit la porte et rentra retrouver "son" enfant. Mal lui en pris, car l'homme à qui il avait dérobé le gâteau, réveillé par le larcin, avait appelé la police, et les avait discrètement conduit à ses trousses jusque là où il habitait illégalement. Tout alla très vite ensuite. La police entra alors qu'Eli écrivait du bout de ses griffes "Joyeux Anniversaire" sur la crème pâtissière, pour le plus grand plaisir de la petite fille en face de lui. Ils les mirent en joue, mais Eli n'était pas prêt à voir celle qu'il considérait comme sa propre fille menacé d'une arme devant ses yeux. Il poussa alors un rugissement effroyable, si puissant qu'il en fit trembler les fondations de la vieille maison. Ainsi, profitant des quelques secondes de répit que lui offrit la peur clairement visible sur le visage des forces de l'ordre, il bondit, et d'un coup de patte rageur, leur arracha à tous deux leur arme des mains, puis d'un revers bien senti, envoyer valser l'un des hommes contre une cloison, qui se retrouva enfoncée suite à la force de l'impact. Il attrapa ensuite le cou de l'autre homme d'une main et le souleva de terre sur plusieurs centimètres, avant de rugir une nouvelle fois. Mais les renforts arrivaient, et il dut lâcher l'homme, qui tomba comme une masse au sol, à moitié assommé par la strangulation. La rage dans les yeux d'Eli laissa place à la peur, et il prit la petite dans ses bras, courant aussi vite qu'il le pouvait, mais ses poursuivants étaient partout, ils encerclaient la maison. Il fit alors un choix qui le hantera encore aujourd'hui: il abandonna là son enfant, cachée dans un placard, et parti sans se retourner.

Cela fait plusieurs années maintenant, Eli a trouvé un nouveau logement abandonné qu'il a rendu habitable grâce à ses quelques connaissances en bricolage, plus loin du centre, et plus loin des ennuis, dans la périphérie de la ville. Il est toujours rongé par les remords et cherche sans discontinuer à retrouver sa fille. Autre chose, il continue ses menus larcins, et a volé il y a peu un ordinateur, lui ayant permis, grâce à l'électricité piquée dans une gaine technique de l'immeuble à côté, de passer son diplôme par internet afin de devenir professeur des écoles. Toutefois, s'il ne peut exercer, il sait maintenant qu'il est temps. Il ne manque plus qu'une chose à son bonheur: sa petite Anna. Et il va tout faire pour la retrouver, TOUT.